Sortilèges et enchantement

Sortilèges et enchantement

le Moulin du Diable

A la sortie de Guérande (ville entièrement ceinte de remparts) il existe un très beau moulin, qui dans les temps anciens suscita de nombreuses légendes dont une, la plus connue, qui lui a donné son nom, le moulin du diable.

Il daterait de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Il porte le blason aux fasces de la seigneurie des Carné de Crémeur.



"Il était une fois, un brave homme, Yvon Kerbic, meunier de son état. Honnête, doux, quelque peu timide, il était travailleur, bon mari et bon père. Il avait cependant un caractère un peu trop malléable et souffrait d'une indécision quasi chronique ne le préparant guère à affronter les aléas de la vie.Pour son plus grand bonheur, il avait épousé une jeune Guérandaise, pauvre il est vrai, mais tout aussi travailleuse que lui, et dont le caractère énergique et débrouillard palliait ses éternels atermoiements.
A l'époque où se déroule notre histoire, le couple vivait très précairement dans une chaumière ressemblant plus à une crèche qu'à une demeure humaine. Trois petits Kerbic y gambadaient déjà tandis que le quatrième était en route.
En dehors de la pauvre masure, la richesse des Kerbic se répartissait entre une bourse plus plate qu'une punaise, un lopin de terre inculte, une faillie meule de foin, un poulailler dont les occupants étaient si déplumés et si âgés qu'ils semblaient sortis tout droit de l'Arche de Noé et ... d'un moulin à vent.-
Un moulin ? Mais c'est une source de richesse me direz-vous... Et pour tout autre moulin, vous auriez raison... Mais pas pour ce moulin là...
En effet, on ne sait par quelle étrange lubie des constructeurs, il avait été érigé entre deux collines...Tant et si bien, que même lorsque la plus effroyable des tempêtes grondait sur toute la presqu'île, aucune bourrasque ne venait en effleurer les ailes et celles-ci pendaient ainsi lamentablement 365 jours par an.
Pas un seul fermier n'apportait donc son grain à moudre à Yvon Kerbic, maître meunier d'un moulin ne connaissant point le vent.
Par un bel après-midi, le pauvre homme, adossé au mur de son improductif moulin, ressassait une fois de plus de sombres inquiétudes qui l'auraient sans aucun doute poussé au suicide si tant est qu'il eut pu une seule fois surmonter son état de perpétuelle indécision." Qu'allons-nous pouvoir faire ?... Comment remplir cette bourse où ne s'accumule que la poussière ?"
Il en était là de ses sinistres pensées, le coeur lourd, les larmes montant aux yeux, soupirant comme une âme en peine lorsque, relevant la tête, il aperçut un étrange voyageur se dirigeant droit sur lui ...De grande stature, l'étrange quidam portait une culotte noire collante révélant des jambes noueuses ; une immense cape rouge l'enveloppait, s'entrouvrant sur une large chemise d'un rouge tout aussi éclatant ; des chaussures pointues à boucle d'argent et un chapeau rond orné d'une plume verte complétaient l'accoutrement.
Le voyageur se campa devant lui, l'observa un moment d'un air quelque peu narquois, puis l'apostropha.
- " Bonjour Yvon ! Bonjour mon garçon ! Eh bien ? Qu'as-tu Yvon ? Tu sembles plus triste qu'un bonnet de nuit ! "
- " Et en quoi cela vous regarde ? J'ai bien le droit d'être gai ou triste, selon mon bon plaisir ce me semble ! Ce ne sont point vos affaires ! "
-" Tout doux ! Tout doux, mon garçon ! Ma question venait d'un bon sentiment ! Celui de t'apporter mon soutien, de te venir en aide ... "
- " Après tout... Si vous y tenez... Voyez-vous là-bas cette masure ? Elle abrite tout mon petit monde : ma femme et mes trois enfants. Et ces jolies bouches là sont comme toutes les bouches... Elles ne se nourrissent pas de l'air du temps... et le moulin qui est derrière, est aussi à moi, il est fort beau, mais il ne moud rien - il pourrait faire un vent à décorner tous les boeufs que ses ailes ne bougeraient pas plus qu'un menhir !"
"Je viens te proposer un marché, mais donnant, donnant.."
"Donnant, donnant ? Auriez-vous oublié que je n'ai rien à donner ? Et de plus, je ne vois guère ce que vous pourriez faire pour que les ailes de mon moulin puissent enfin tourner. Cessons là ces enfantillages ! Arrêtez de vous gausser de moi et laissez moi tranquille à la fin !"
- "Suffit ! Je le sais et c'est tout ! Je te propose ceci : dès sa naissance, qu'il soit mâle ou femelle, l'enfant m'appartiendra, si demain, avant le chant du coq, ton moulin est transporté tout en haut de cette colline, sans qu'il en manque une seule pierre. Es-tu d'accord ? "
- "Monsieur ! Arrêtez de plaisanter ! Vous êtes un fieffé farceur, mais je n'apprécie guère que l'on se moque ainsi de ma misère ! Transporter mon moulin sur cette colline ? En une nuit ? Autant tenter de réveiller un mort ! Même le diable n'y parviendrait pas !"
- "Détrompes-toi Yvon. Le Diable y parviendrait ; il te parle en ce moment."
A ces mots Yvon sentit son poil se dresser tout debout. Il ôta son couvre-chef, si usé qu'aucune mite n'en aurait voulu pour son repas, et balbutia, transi d'effroi :- "Mon... Monseigneur... Je... Je suis très... Je suis très honoré de... heu... fff... faire votre connaissance... heu... Quoique... heu... votre... votre heu... votre réputation ... soit heu... comment dire...heu... Un tant soit peu heu... Enfin... heu .. vous voyez ce que je veux dire...
- "Allons, mon gars... Décide-toi... Un simple oui et tes ennuis disparaissent... Ta famille connaîtra enfin l'aisance... Tu n'auras plus aucun souci..."
Le pauvre Yvon Kerbic ne put résister, sa raison vacilla... S'armant d'une "virile" résolution, il opina du chef et conclut l'affaire en tapant dans la main du sinistre personnage 

(suite dans le prochain post)
 



14/03/2008
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